samedi 18 octobre 2008

Jean Richepin


Poète français né à Médéa (aujourd'hui Lemdiyya) en Algérie, le 4 février 1849, et mort à Paris le 12 décembre 1926.

Avant d'être un auteur célèbre, aujourd'hui bien oublié, Jean Richepin fut un "personnage", une tête, et, si l'on peut dire, une "forte gueule" de la bohème parisienne (du quartier Latin à Montmartre), avec son imposante stature, sa moustache agressive et son regard fier. Malgré quelques faiblesses (que l'on retrouve surtout dans ses romans et ses pièces de théâtre), il reste un grand poète et un conteur plaisant dont les oeuvres ne manquent ni de corps ni de saveur.

1. Les débuts dans la vie

Ce poète turbulent, fils d'un médecin militaire, eut une enfance et une adolescence très marquées par les voyages et les déménagements.

Il fit de brillantes études secondaires à Douai, entra à l'École Normale Supérieure en 1868 et obtint sa licence ès lettres en 1870. Pendant la guerre, Richepin s'engage dans un corps de francs-tireurs de Bourbaki. La Commune de Paris, qu'il observe depuis une mansarde d'un immeuble de la rive gauche, le bouleversera. Il s'entiche des idées révolutionnaires de Jules Vallès et prend goût à l'aventure et à la liberté en menant pendant quatre ans une vie errante. Tout d'abord, il part de chez ses parents, alors fixés à Nancy, vers l'Italie. Il rencontre en Bourgogne une caravane de bohémiens avec qui il fera route vers l'Italie.

Il sera, successivement, journaliste (notamment au "Mot d'Ordre", "Au Corsaire" et dans "La Vérité") professeur, matelot, docker à Naples et Bordeaux puis vers 1875, apparaît au quartier Latin où par ses excentricités, il se fait vite une célébrité dans les cafés et les brasseries que fréquentent alors Ponchon, Rollinat, Bourget et Léon bloy. Il collaborera à l' Album Zutique, album où l'on trouve aussi des parodies et inscriptions obscènes de Verlaine, Rimbaud, Charles Cros, Léon Valade... et aux Dixains réalistes qui parodiaient le réalisme bourgeois et conservateur de François Copée. Dissident du Parnasse, après avoir appartenu, en 1871, au cercle joyeux des "Vilains Bonshommes", il fonde le groupe des "Vivants", avec entre autre son grand ami Ponchon, pour lutter contre les conventions formelles et thématiques et rapprocher ainsi l'art de la vie.

Ses héros et ses inspirateurs sont Pétrus Borel, poète maudit mort de faim à Mostaganem, Baudelaire, et toujours Jules Vallés, le réfractaire. Il publiera en feuilleton une brillante et virulente biographie de cette écrivain de la Commune dans "La Vérité", qui donnera en 1872 son premier livre : "Les Étapes d'un réfractaire" qui sera accueilli à l'époque comme un brûlot anarchiste et une dénonciation retentissante de l'égoïsme des riches.

Richepin a désormais rejeté le joug des conventions et de la culture, il célèbre l'instinct, vante complaisamment, et non sans ridicule, sa force physique, sa virilité, et à partir d'une prétendue hérédité bohémienne et "touranienne", se bâtit une biographie imaginaire et riche en couleur. Il parait qu'une tribu de nomades en voyage aurait autrefois, il y a très longtemps, renonce aux aventures errantes de la roulotte en passant prés du village d'Hirson, dans le pays de Thiérache (aujourd'hui département de l'Aisne). Un ancêtre de Jean Richepin était du nombre : de romanichel il devint cultivateur et prit racine au sol. Et c'est donc grâce à lui, que son descendant se vantera d'être Touranien. Ni celte ni latin, un sang neuf, libre, aventureux, vierge de tous dépôts de la civilisation, un corps vigoureux, un esprit solide, réfractaire aux mièvreries, aux mélancolies, une philosophie et une morale farouchement matérialiste : tel Jean Richepin s'est proclamé dans ses oeuvres.

2. Les débuts de la célébrité Un an plus tard, le grand public découvre soudain Richepin avec "La Chanson des Gueux" (1876), qui déchaîne les foudres de la justice : le livre est saisi et l'auteur condamné, pour outrage aux bonnes moeurs et à la morale publique, à un mois de prison, qu'il passe à Sainte-Pélagie, et à 500 francs d'amende (la pièce condamnée concernait la description d'une étreinte entre deux clochards) ; vicissitudes qui lui assureront une publicité énorme. Cette Chanson, en plein "ordre moral", évoque, en vers argotiques aux rimes et aux rythmes sonores, l'existence des déclassés ou des oubliés de la société. Il faudra attendre 1964 et la réédition revue et augmentée de "Choix de poésies" pour découvrir les passages supprimés dans les poèmes censurés, et l'intégralité des poèmes alors interdits.

Il avait conquis la célébrité, le naturalisme était dans l'air, et Richepin chantait une nouvelle bohème, non pas celle de Murger mais celle de la cour des Miracles. L'Artiste, en révolte contre la morale bourgeoise et l'hypocrite poison de la chrétienté, confirme sa vocation de poète violent en 1877 avec "Les Caresses", exaltant la sensualité et l'érotisme, et en 1884 avec "Les blasphèmes", véritable bible de l'athéisme et du nihilisme. Son ton virulent s'apaisera en 1886 avec les poèmes de "La Mer" recueil serein des souvenirs du temps où il était matelot et avec "Mes Paradis" en 1895 qui et en quelque sorte le deuxième volume des blasphèmes, la férocité en moins. En 1899, il fait paraître "La Bombarde" qui est peut-être le livre où s'atteste le mieux son époustouflante virtuosité, son art de recueillir les mots des ouvriers et des vagabonds afin de faire chanter la sève qu'ils contiennent, celle de la vraie culture, c'est à dire celle de la vie se cultivant elle-même.

Dès 1873, avec "L'Étoile", écrit en collaboration avec le célèbre caricaturiste de l'Époque André Gill, il avait fait des débuts simultanés d'acteur et d'auteur dramatique ; il paraîtra encore en 1883, aux cotés de Sarah Bernhardt, dans le premier rôle de son drame "Nana-Sahib"; mais son plus grand succès théâtral sera "Le chemineau" en 1897.

Richepin collaborait en outre au Gil Blas, et publiait des romans très populaires, à la fois "psychologique" et naturalistes, comme "La Glu" (1881), le magnifique et poétique "Miarka, la fille à l'ourse"(1883) qui décrit la vie des Tziganes, et "Braves gens" (1886), subtil roman à clef, portant sur la vie des humbles et des marginaux qui vivent la bohème artistique.

Il publia également plusieurs recueils de contes qui représentent, avec son oeuvre poétique, la partie la plus accessible de son oeuvre pour le lecteur d'aujourd'hui. Les contes des recueils "Les morts bizarres" (1877) "Cauchemars" (1892) et "Le coin des fous" (1921) écrits avec une plume trempée dans le vitriol et le sang, dans la lignée qui va d'Edgar Poe à Villiers de l'Isle-Adam, peuvent être lus comme des contes fantastiques "purs", à la différence de ceux qui sont noyés dans des recueils décrivant un pays ou une époque "Contes de la décadence romaine" (1898), "Contes Espagnols" (1901), ou un milieu, comme le somptueux recueil "La Miseloque" (1892) sur les gens du théâtre, et "Truandaille" (1890), sur le monde des marginaux.

Mais tous mériteraient d'être réédités... !

Infatigable voyageur, on le voyait souvent à Londres, il parcourait l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne, la Scandinavie, l'Afrique du Nord,... Et sur chacun de ses voyages, il donnait beaucoup de conférences et écrivait des tas d'articles pour la presse parisienne.

A noter aussi qu'il eut plusieurs enfants dont deux qui reprirent le flambeau artistique : Jacques Richepin (1880-1946) en tant que journaliste, dramaturge ("Cadet Roussel" 1904) et poète ("Mon Coeur") qui a épousé en 1901 l'artiste Cora Laparcerie (1875-1951), tous deux assumèrent la direction du théâtre de la Renaissance ; et Tiarko (1884-1974), (à qui Raoul Ponchon, un autre poète oublié et ami de la famille Richepin, a dédié un poème dans son recueil posthume "La Muse Vagabonde" en 1947) en tant que compositeur pour des films, ("Le chemineau" en 1935, "Les deux gosses" 1936) des spectacles ("La petite marchande d'allumette") et des chansons (notamment pour Lys Gauty : "l'amour qui passe" en 1932) . Dans son ultime recueil de poésies "Interludes" datant de 1923, il dédie ses derniers vers à ses deux derniers fils Jean-Loup (1898-1958) et Jean-Pierre (1901-1956).

Enfin, je me fais un énorme plaisir, en écrivant que c'est grâce à Richepin que nous avons eu "Le Chat Noir", célèbre cabaret artistique où débuta un tas de grands poètes et chansonniers, s'il faut en croire l'extrait du livre de Raymond de Casteras : "Avant le Chat Noir : Les Hydropathes " (Paris.Messein), p.30 : "Le Chat Noir fut l'aboutissement, l'épanouissement des Hydropathes qui étaient nés d'un mouvement poétique très vif provoqué quelques années en ça par 'La Chanson des Gueux'de J.Richepin." Félicien Champsaur. (réf. Le Chat Noir Ed. Les Dossiers du Musée d'Orsay. Paris 1992).

Attention : des photos rares concernant le cabaret "le Chat Noir", dont une montrant la VRAI façade du cabaret :

3. Triste fin... Son entrée à l'Académie française, où il fut reçu par Maurice Barrés le 18 février 1909, consacra une carrière de révolté en quelque sorte officiel, et désormais inoffensif. Il fut élu à l'Académie française en remplacement d'André Theuriet, le 5 mars 1908. Se présentaient contre lui Edmond Haraucourt et Henri de Régnier. Il obtint au quatrième tour 18 voix sur 32 votants et fut reçu le 18 février 1909 par Maurice Barrès. Il devait recevoir à son tour le maréchal Joffre en 1918, et Georges Lecomte en 1926.

J'aime passionnément Richepin mais je dois reconnaître à ses détracteurs qu'il y a un bon et mauvais artiste en lui, ou plutôt, un jeune anar et un vieux con...

Et le mauvais Richepin : c'est celui qui, à rebrousse-poil de tous ses écrits, rentre à l'Académie française et devient, comme beaucoup d'anarchiste esthétisant, et d'anciens combattant de 70, membre des "bourreurs de crâne" , avec, entre autres, Maurice Barrés, pendant la guerre 14-18. Il sera d'ailleurs, à cause de tout cela, l'une des cibles préféré du tout nouveau hebdomadaire satirique de l'époque : "Le Canard Enchaîné".

Pour illustrer ce que peut être un Jean Richepin "vieux con", voici un texte paru en 1900 dans un almanach nationaliste (de la ligue des patriotes ou qqch comme ça), fourni par M. Bernard Coppens :

C'est également en 1914, à Vervins, qu'il se laisse tenter par la politique en tant que candidat aux législatives. Il s'oppose à M. Ceccaldi, radical socialiste, comme républicain de gauche, et sera battu avec 5383 voix contre 7718.

Il écrira jusqu'à la fin de sa vie, et en 1922 et 1923 parurent encore deux recueils en vers : "Les Glas" et "Interludes".

Sa fin qui sera détaillée dans "L'Excelsior", daté du 13 décembre 1926, ainsi : "M. Jean Richepin est mort, hier matin, à 6 heures, dans son hôtel particulier de la Villa Guibert, à Passy. Il aurait eu 78 ans le 9 février prochain. Il y a huit jours, il avait pris froid dans un théâtre, pendant que l'on prenait sa photographie pour le mettre en tête du film tiré du "Chemineau". Une bronchite se déclara, puis une congestion. Le mal fit des progrès rapides et quatre jours plus tard, le poète entra dans le coma. Son père, médecin militaire, tenait garnison ; mais sa famille était originaire de la Thiérache, dont la capitale Hirson, connut au dix-septième siècle un Richepin ménétrier... "

Il sombre dans l'oubli, en plongeant dans la mort, avec son oeuvre, pourtant considérable. Mais ses personnages, d'une époque où la cruauté de la misère était on ne peut plus visible, sont toujours là, à côtés de nous, dans nos rues, cachés dans leurs cartons que nous avons bien voulus leurs laisser. On ne les appelle plus gueux mais S.D.F.. Sa révolte perdure encore au coeur de nos nouvelles cités et de ses jeunes habitants. Enfin, quelques-uns un de ses contes, qui n'ont rien à envier à ceux de Jorge Luis Borges, ont été réédité chez Séguier... Merci...

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