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Présentation de l'éditeur
Mohammed Ben Cheneb est professeur à la médersa d'Alger lorsqu'il fait paraître ce recueil en 1905. Il n'y avait alors aucun ouvrage d'ensemble sur cette branche de la littérature populaire arabe. Il est pourtant à peine besoin de rappeler la place privilégiée qu'occupent, dans le langage, les proverbes. Ils sont, disent les Arabes eux-mêmes "des flambeaux qui éclairent les discours". Les proverbes reflètent l'histoire d'une civilisation et des idées dont ils traduisent les transformations. Il y en a qui appartiennent à certaines provinces, à des villes, à des bourgs et aux plus petites localités. Parfois ils font allusion à des événements qui ont eu une importance à une certaine époque, mais dont il a été impossible de découvrir l'origine. D'autres, et relativement nombreux, sont tirés de sujets religieux ou ayant trait à la vie quotidienne. Mohammed Ben Cheneb a personnellement recueilli nombre de ces proverbes, surtout à Alger et Médéa. Il a puisé également dans un certain nombre d'ouvrages (Machuel, Daumas, Medjdoub, Fischer, etc.) Mais fauteur a fait plus, il ne s'est pas contenté de classer les proverbes par ordre alphabétique afin de faciliter les recherches, d'en donner la traduction accompagnée d'explications pour en indiquer l'emploi, d'en rechercher pour certains d'entre eux les équivalents en français : il note les localités où il les a entendu employés et établit des parallèles avec ceux qui existent dans d'autres pays arabes.
Proverbes algériens et maghrébins
Il s'agit d'un gros volume en version bilingue arabe/français de plus de 1 000 pages réunissant trois tomes de proverbes datant des siècles passés et recueillis par les sons d'un auteur algérien presque inconnu, Mohamed Ben Cheneb.
Personne, avant et même de nos jours, n'a pu éditer un livre de cette envergure qui rassemble avec la plus grande rigueur des proverbes anciens, partie intégrante d'un patrimoine culturel inestimable. L'éditeur étranger le dit d'ailleurs d'une manière plus expressive en couverture : "Les proverbes sont, disent les Arabes eux-mêmes, des flambeaux qui éclairent les discours. Les proverbes reflètent l'histoire d'une civilisation et les idées dont ils traduisent les transformations".
Cette réédition 2003 faite par "Maisonneuve et Larose" à l'occasion de l'année de l'Algérie en France, est accompagnée d'une présentation de Hedi Ben Cheneb, probablement un héritier, et constitue un véritable coup de jeune donné à un ouvrage ancien mais qui vaut son pesant d'or. En réalité, c'est une réactualisation des proverbes algériens et maghrébins en voie de disparition, car en fait qui est intéressé par ce genre de textes poétiques émanant de la sagesse populaire ? L'éducation de nos enfants est telle que personne ne s'intéresse non pas seulement aux proverbes, dictons, maximes populaires, qu'on a le devoir d'immortaliser par la mémoire et l'écriture, mais aussi à toute autre production récente.
Ce livre de Ben Cheneb honore nos ancêtres, notre histoire, notre littérature. Aucun, à part quelques écrivains de renommée comme Mouloud Mammeri, n'a eu la patience ni le talent et la volonté de glaner au fil des années auprès des vieux de telle ou telle région ce qui restait dans les mémoires et qui appartient à tout le monde.
Ces proverbes d'Algérie et du Maghreb sont l'expression d'une longue évolution de la pensée maghrébine, d'une littérature populaire qui s'est constituée dans les pires difficultés et d'un esprit créatif. Dommage que les trois tomes réunis en un volume n'aient pu être sauvés de l'oubli qu'à l'étranger et qu'ils aient été livrés à un prix exorbitant converti en dinars, alors qu'ils doivent être des livres de chevet de chacun de nous.
L'auteur et son œuvre
Mohamed Ben Cheneb, né en 1869 à Médéa, fut un homme de culture d'une trempe rare. Il a d'abord exercé comme instituteur dans un petit village des alentours de Aïn Defla, après une formation à l'Ecole normale de Bouzaréah, avant de faire des études supérieures en arabe et en français pour devenir d'abord professeur à la medersa d'Alger, puis à l'université où il a succédé à son maître Réné Basset.
Ben Cheneb est aussi l'auteur de nombreuses publications en littératures et histoire à la Revue africaine et de dictionnaires assez volumineux en deux tomes et en version bilingue : français-arabe. C'était un érudit qui n'a jamais bénéficié d'une quelconque distinction, mise à part la rue Ben Cheneb en Basse Casbah, qui perpétue son nom.
Il est mort oublié comme tant d'autres écrivains algériens victime d'une amnésie programmée et dont nos jeunes ne connaissent même pas les noms. Demandez aux jeunes de 20 à 30 ans, produits de l'école fondamentale, ; et même s'ils ont une formation littéraire au lycée ou à l'université, ce qu'ils savent sur M. Dib, M. Feraoun, T. Amrouche, M. Ouary, K. Yacine et vous verrez !
Mohamed Ben Cheneb a laissé en héritage un ouvrage d'une valeur exceptionnelle , il s'agit d'un total de plus de 3 000 proverbes de tous les temps construits selon les mêmes techniques par les esthéticiens du langage de tous les temps.
Le proverbe fait partie du genre poétique puisqu'il a une structure symétrique, des sonorités, un rythme. Il a un autre trait particulier, c'est de pouvoir être mémorisé pour son contenu moralisateur, de voyager dans l'espace et le temps. Beaucoup de proverbes sont passés d'une langue à une autre. Parmi les proverbes qui ont cours un peu partout chez nous, il y en a qui sont même d'origine chinoise ou européenne.
Ces productions populaires répandues et qui sont pour la plupart anonymes, sont aussi porteuses des marques d'un langage dans ses différentes phases d'évolution et ses emprunts lexicaux à d'autres langues. Ben Cheneb avait la chance de posséder parfaitement les deux langues : l'arabe et le français. Les traductions de l'arabe au français doivent être de lui. De plus, il lui a été facile de donner l'origine de chaque proverbe, ses équivalents dans d'autres régions du Maghreb ou d'autres pays. Et lorsqu'il lui a été possible, il a même donné la valeur sémantique de chaque élément lexical entrant dans l'ensemble construit.
Ce que nous admirons aussi dans cet ouvrage, c'est l'ensemble des légendes, anecdotes populaires qui accompagnent quelques proverbes pour leur donner une situation temporelle et spatiale, leur apporter des éclaircissements sur le sens qu'ils véhiculent et les situations auxquelles ils s'appliquent.
En parfait connaisseur, Ben Cheneb a fait une classification en fonction de la grande diversité des thèmes.
Présentation dans un ordre alphabétique
Une des qualités appréciables de la méthodologie de Ben Cheneb a été de s'être consacré méticuleusement à une mise en ordre alphabétique des proverbes recueillis puis transcrits dans la langue et l'écriture d'origine pour être ensuite traduits fidèlement. De la sorte, il est plus facile de retrouver le proverbe que l'on veut pour illustrer une situation donnée ou dont on a entendu parler.
Cette disposition présente aussi cet avantage de pouvoir faire une étude à la fois sur la dérivation, la polysémie, les champs sémantiques et lexicaux. Le travail de recherche doit être extrêmement passionnant étant donné la qualité des supports.
Il arrive aussi que pour un nom ou un verbe spécifiquement porteurs de marques historiques, l'auteur propose des synonymes ou des équivalents en arabe des autres régions ou pays ou en turc.
Certains proverbes représentant un pourcentage important ont des sens ambigus en raison de leur valeur métaphorique et symbolique. Anciens, ne répondant plus au contexte socioculturel d'aujourd'hui, ils sont destinés à un public de la vieille école. On peut dire qu'ils sont formulés dans un langage ésotérique, voire relevé et accessible aux seuls initiés.
Voici traduits en français deux proverbes qui peuvent faire l'objet de plusieurs interprétations plus ou moins acceptables : "Bâad min demmek la yimerghdek", "Eloigne toi de ton sang afin qu'il ne te salisse pas" qui de prime abord ne peut que nous déconcerter, il s'adresse à quiconque désire épouser une parente, une cousine par exemple. Restons dans l'ordre alphabétique pour proposer cet autre proverbe aussi difficile à interpréter que le premier. A vous d'en juger ! "Bâad min cher ou ghenni lou" qui donne en traduction : Eloigne toi du malheur et chante-lui. Beaucoup d'expérience et un maximum de perspicacité dans le langage populaire sont nécessaires pour en saisir le vrai sens qui se présente ainsi : "Se plaindre d'une personne de la fréquentation de laquelle on peut se passer".
A côté de ces nombreux proverbes d'un abord difficile, il y en a d'autres qui peuvent être compris de tout le monde même s'ils sont construits autour d'une métaphore ou d'une comparaison, c'est le cas de celui-ci : "Souvent un mot fait plus de mal qu'un coup d'épée". en revanche, trois ou quatre mots du langage quotidien peuvent suffire pour former un ensemble très allusif et d'un décryptage assez ardu, par exemple : "L'encre tourne le cerveau" "Soumagh y aqleb demagh" pour signifier tout simplement l'influence de la magie ou des talisman.
Ce qui agrémente le texte de Ben Cheneb, c'est l'additif de 25 pages consacrées aux adages populaires algériens, parus dans un recueil gnomique établi entre 1907 et 1910. Ce sont d'après l'auteur des distiques et quatrains employés exclusivement à Boghari, Laghouat, Teniet El Had, Boussâada. La plupart sont attribués à des marabouts comme Sidi El Hadj Isâ d'Alger ou Sidi Abderrahman El Medjdoub de Fès.
Certains des adages peuvent être pris pour des poèmes tant la construction complexe en plusieurs vers nous expose à des méprises ; ce sont des adages qu'on devrait appeler aussi des maximes pour leur moralité. Mais poèmes, fables, proverbes, adages, dictons, maximes appartiennent tous au genre poétique. Jugez-en par celui-ci : "A celui qui te rit, ris et le meilleur rire est le sourire. A celui qui te montre le dos montre-lui le tien ; il ne l'a pas plus grand que le tien./ Et celui qui t'échange contre le petit d'un corbeau, échange le contre le petit de la chouette". (traduction de l'arabe par Ben Cheneb).
Cet ouvrage d'une richesse exceptionnelle tant il a sauvegardé ce qu'il y a de plus beau dans notre patrimoine, ne constitue qu'une étape de la vie bien remplie de Ben Cheneb mort prématurément.
L'écrivain méconnu dans son pays a laissé une œuvre immense. Après son premier texte juridique publié en 1895, il a entrepris une série de rééditions de biographies, comme celles des savants de l'Ifriqya, le Bustan d'El Ghobrini sur les saints de Béjaïa.
Il a été chargé de conférences d'enseignement supérieur, puis des relations culturelles avec les plus grands orientalistes de son temps. Ben Cheneb a soutenu deux doctorats. Le premier est sur Abou Dolama, poète bouffon, le second a porté sur les mots turcs et persans conservés dans le parler d'Alger.
Il meurt le 5 février 1929, à un âge où, à la faveur d'une réelle maîtrise des langues et du domaine des lettres, on devient prolifique.
Ben Cheneb réédité
Ami et disciple du spécialiste des études arabes et berbères, René Basset, admiré par des orientalistes comme William Marçais et Louis Massignon, Mohammed Ben Cheneb, parfaitement bilingue, publie en 1905 le premier de ses trois volumes de proverbes du Maghreb. Deux autres suivront en 1906 et 1907. 3 127 proverbes au total ont été recensés.
Malheureusement, l'ouvrage tiré à peu d'exemplaires, compte tenu du prix élevé et du nombre peu important à l'époque de lecteurs intéressés, disparaît progressivement des rayonnages des bibliothèques pour devenir introuvable.
Abondamment utilisé sans être toujours cité par les auteurs traitant des proverbes arabes, absent des encyclopédies de proverbes, il était tombé dans un oubli total.
En cette année de l'Algérie en France, la réédition de ce premier recueil bilingue arabe-français et la seule encyclopédie de proverbes algériens à ce jour ne pouvait mieux tomber.
L'ouvrage met également en évidence l'importance dans la culture des musulmans d'Afrique du nord des proverbes, qui sont présents aussi bien dans leur vie quotidienne et leur parler que dans leur manière de voir le monde.
1 commentaire:
je viens de connaitre ce grand monsieur et je suis trés ravi,parceque je suis de cette ville ou je viens de découvrir ce que je pensé,je viens de terminer mon premier ouvrage sur les origines de la langue française voir le lien :''la nostalgie française pour le pays de cedre''
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