lundi 17 décembre 2012

Monographie de la commune de Médéa


Introduction

920 MÈTRES au-dessus du niveau de la
mer, pittoresquement accrochée au flanc
du Djebel Nador, Médéa dresse ses
remparts au milieu d'un îlot de verdure,

qui l'entoure d'une large ceinture d'arbres.

Située à l'Est et à peu de distance du méridien, au-
dessus du 36° degré de latitude Nord, la ville est toute
entière bâtie sur un plateau qui, s'infléchissant légè-
rement vers le Sud-Est, occupe presque le fond d'une
dépression que forme à son sommet un des massifs du
Petit-Atlas. De tous côtés, la vue est bornée par des
chaînes successives de montagnes, dont les cimes boisées
dressent vers le ciel leurs pics et leurs dômes. L'horizon
ainsi limité de tous côtés, laisse craindre, à qui ne
connaît le pays, une grande difficulté de communications;
mais les routes agréables et ombragées qui quittent la
cité par les portes massives percées dans l'enceinte
fortifiée sont nombreuses et sûres, et la traversée des
cols et des défilés ne fait qu'ajouter un charme de plus
au pittoresque du paysage.

Ce qui frappe tout d'abord à Médéa, c'est sa ressem-
blance avec les villes de France. Peu ou point de
maison blanches à terrasses, mais au contraire des
immeubles presque tous à un étage avec, dans l'en-
semble, un seul minaret bien visible.
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VI

La ville peut se diviser en deux parties bien distinctes,
l'une ancienne ou ville haute, refuge des Juifs, et des
Arabes, qui de plus en plus viennent de la campagne y
habiter, est couronnée par la citadelle qui contient
l'hôpital et les casernes de la garnison ; l'autre, la
« Nouvelle Ville », construite bien plus tard est
aujourd'hui le centre du mouvement et du commerce.
La ressemblance s'accentue par le climat très rigoureux
l'hiver et agréable l'été, qui fait produire aux jardins
les mêmes fleurs et les mêmes fruits que ceux de
la métropole.

Deux mosquées l'une du rite hanéfite et l'autre
malékite dressent leurs coupoles et les nombreux Arabes
qui les fréquentent rappellent à l'étranger, qui se
complaît dans cette ressemblance, qu'il foule le sol
algérien.

Les environs sont gais, verdoyants, fertiles en
cultures de toutes sortes. Le plus grand charme de la
contrée est la multitude d'arbres qui parsèment la cam-
pagne d'alentour. Platanes aux larges feuillages,
ormeaux, mûriers, frênes, noyers, tilleuls, micocouliers,
acacias, cèdres et sapins toujours verts, arbres du Nord,
arbres du Midi mettent sur les champs et les routes de
larges taches d'ombre. Pas un sentier, si petit soit-il,
qui ne possède sa haie d'églantiers, d'aubépines ou de
ronces. Çà et  de vastes rideaux de peupliers font
songer aux bords enchantés des rivières. Hélas !  est
le point noir. Bien que de nombreuses sources alimen-
tent le pays d'une eau fraîche et délicieuse, bien que les
cascades égrènent, aux flancs des montagnes, leurs
perles d'argent, Médéa ne possède pas la moindre
rivière digne de ce nom, car ce ne sont pas des rivières
que les quelques oueds desséchés qui coulent pendant
l'hiver à une grande distance de la ville.

Le nom de Médéa, qui selon les uns, vient du latin
Médias ou ad Médias, selon les autres du mot arabe
Lemdia, a donné lieu à des controverses sans nombre.
La deuxième version nous paraît la meilleure si l'on



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considère que les Arabes ont de tous temps appelé
« Lemdani » les habitants de la ville.

Les communications avec le littoral et la plaine sont
assurées par une voie ferrée établie en 1891 et la route
nationale de Blida à Médéa, qui livrée par le génie
militaire après la conquête fait l'admiration de tous.

Traversant les gorges de l'Oued Ghiffa, tantôt ser-
pentant au flanc des montagnes, tantôt surplombant
d'une hauteur vertigineuse le ravin déchiqueté  la
rivière roule ses eaux limoneuses, la route monte vers
le sommet en de nombreux lacets. A mesure que l'on
avance l'air fraîchit, les montagnes se boisent, la végé-
tation, bien qu'aussi verdoyante, est moins développée
et l'on arrive, alors qu'on ne s'y attendait guère, à
trouver dans ce pli de montagne une des cités les
plus agricoles et les plus fertiles du département
d'Alger.
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De l'Origine à la Conquête




CHAPITRE PREMIER 

De l'Origine à la Conquête

NOUS REMONTONS en arrière dans l'histoire
de l'Algérie, en général, et de Médéa en
particulier, ce n'est qu'à partir de la
domination romaine que nous trouvons,

dans la ville et ses environs, quelques traces des
habitants.

Il est très compréhensible que les premiers peuples,
Gétules ou Lybiens, Berbères ou Abyssins qui, selon
Salluste, occupèrent successivement l'Afrique du Nord,
aient laissé peu d'empreintes de leur passage. Occupés
sans cesse à se combattre, ces peuples ne songèrent point
à constituer quelque oeuvre durable. Ceux qui nous ont
légué le plus de souvenirs, sont ceux qui se sont suc-
cédé jusqu'à nos jours et que les historiens ont toujours
appelé les Berbères. Mais ces Berbères d'alors furent-
ils réellement les ancêtres de ceux d'aujourd'hui ?
Furent-ils, comme on semble le croire, les précurseurs
de nos montagnards du Tell ? C'est  le point encore
imparfaitement éclairé.

Le mot semble avoir toujours désigné ceux qui furent
rebelles à toute civilisation et à toute conquête. Les
Berbères, continuellement repoussés par les peuplades
du littoral, ont certainement habité les montagnes. Il
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est cependant assez difficile de retrouver quelque chose
de précis à ce sujet dans les récits des auteurs romains
qui avaient entrepris de retracer les faits et gestes de
leurs précurseurs en Afrique. Ces histoires donnent
aux diverses dynasties des noms extraordinaires, et
nous restons sceptiques devant les récits de Pline,
nous décrivant les éléphants et les animaux fantastiques
de l'Atlas, devant les chroniques de Strabon, nous
assurant que sur la crête des montagnes les pieds de
vigne, gros comme des arbres, produisaient des rai-
sins d'une coudée de long.

Ces renseignements diffus prouvent que les conqué-
rants successifs ne s'occupant que des pays fertiles du
littoral, avaient renoncé à s'emparer des territoires
montagneux, lorsqu'en l'an 25 avant Jésus-Christ, les
Romains s'étant emparés de Carthage donnèrent un
maître et des soldats à ces pays primitifs. Au bout de
quelques années, les provinces étaient organisées, les
insurrections réprimées et les coins les plus reculés du
territoire occupés par les vainqueurs de Carthage.

Médéa qui, selon Ibn Khaldoun, fût fondé par Ballo-
guin Ibn Ziri, de la dynastie des « San hadja », se
trouve, par l'organisation romaine, placée dans la
Mauritanie Césarienne qui tirait son nom de la capitale :
Julia Csesarea (aujourd'hui Cherchell). Juba II, roi de
Numidie, ayant été vaincu par les Romains, avait reçu
en échange de son royaume, le gouvernement des deux
Mauritanies. Intelligent et actif, Juba rendit très pros-
pères les provinces qui lui avaient été confiées. Il eut
tort de ne pas borner ses efforts à la prospérité du
littoral ; aussi les habitants de la région montagneuse
dans laquelle était situé Médéa ne furent-ils jamais
complètement soumis. Les Romains se contentèrent
d'entretenir de ces côtés de forts détachements militai-
res, et la ligne stratégique actuelle n'est que la réédition
delà ligne de camps retranchés qui, allant de Mauliana
(Miliana) à Auzia (Aumale), en passant par Médéa,
jalonnait tout le pays. Malgré la valeur des soldats,
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malgré la présence de la célèbre 22e légion primigénia,
qui avait fait ses preuves, la pacification de la contrée
fut difficile, sinon impossible. Les Mazyques ou Mazices,
peuplade établie dans les « Montes Capientes » (monts
de Tittery) résistèrent longtemps. Soutenus par les
Quinquegentiens qui occupaient le Djurjura, ils exigèrent
contre eux un grand déploiement de forces militaires, et
cette partie de la Mauritanie ne fut définitivement
colonie romaine que sous l'empereur Septime Sévère,
vers l'an 210 après Jésus-Christ.

Qu'était exactement Médéa à cette époque ? Proba-
blement, comme toutes ses voisines, une ville toute
militaire  les Romains avaient leurs « castella » qui
servaient en même temps de forteresses et de refuges
contre les rigueurs des étés de la plaine.

Ville de peu d'importance, cependant, car il n'en est
pas fait mention dans le fragment d'itinéraire qui nous
vient d'un géographe romain, et qui va de Auzia
(Aumale) à Csesarea (Cherchell), en passant par Rapidi
(sour Djouab), Tirinadi (Berrouaghia), Caput Cilani,
Lusafar (Amoura), Acquis (Hammam Righa). C'est à
propos justement de cet itinéraire que l'on a prétendu
voir en Caput Cilani, la ville romaine située sur l'em-
placement qu'occupe actuellement Médéa, mais la
vérification des distances a fait abandonner cette version
et l'on est d'accord pour placer l'agglomération de
Caput Cilani à 21 kilomètres au sud de notre cité
actuelle. Il est certain cependant que Médéa a été bâtie
sur un établissement romain ; les matériaux mêmes de
cet établissement ont servi à l'édification de certaines
maisons. Un aqueduc, qui passe pour avoir été élevé
par les Arabes, porte, dans sa base, des traces très
visibles du travail antique. Les vestiges les plus
précis qui sont parvenus jusqu'à nous, consistent en
assez nombreuses médailles et en quelques inscriptions
fort dégradées aujourd'hui. Parmi les médailles, une
surtout, en argent, a un certain cachet d'authenticité.
Elle fut en possession d'un Juif qui déclara l'avoir



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trouvée au cours des fouilles faites dans sa maison.
Sur une face était une effigie de Juba II, au revers un
croissant surmonté d'une étoile et portant la date XXXIV,
signifiant probablement 34° année du règne. Les ins-
criptions sont plus rares. Celles qui nous sont restées,
fort maltraitées par les intempéries ou la vétusté, ne
nous laissent que peu de lumière sur la période de l'occu-
pation romaine. Les deux principales ont été trouvées en
août 1843, lors des fouilles faites pour la construction
de l'hôpital. L'une qui est sur un couvercle de tombeau
laissa apercevoir les caractères suivants :

M s

RELIUS TERTI

SERANUS

X IT AN (LXXIII. -MX)

TER FECERUNT

dont on peut hasarder cette traduction sans toutefois la
garantir : « Monument consacré aux Dieux Mânes
Aurelius Tertius a vécu 73 ans et dix mois, son fils et
son frère lui ont fait ce tombeau. » La deuxième est
une stèle à frontons, garnie de deux oreilles ; les carac-
tères sont illisibles ; mais on y distingue un buste
grossièrement sculpté et drapé d'un manteau. Quelques
autres inscriptions, sans importance, ont encore été
découvertes un peu partout ; les mots de « Légion » et
de « Equités » qui reviennent presque dans toutes,
nous permettent de conclure à l'existence d'un camp
militaire sur l'emplacement actuel de Médéa.

La domination romaine prit fin vers l'année 650. De
cette date, jusqu'à l'occupation turque qui se produi-
sit au commencement du xvi° siècle, l'histoire du pays
est toute d'invasions et d'insurrections. La première
invasion arabe qui vint jusqu'en Mauritanie eut lieu
en 644. Elle avait à la tête Ouka ben Nali, qui fut
enthousiasmé par la richesse de ce sol inconnu. Les
Arabes qu'il conduisait venaient de la Haute-Egypte et
de la Cyrénaïque. Ces troupes avançant au hasard de
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la guerre se morcelèrent, se fondirent parmi les habi-
tants, s'implantant partout  elles purent se faire
accueillir. D'ailleurs, les indigènes, en révolte conti-
nuelle contre leurs dominateurs, firent toujours cause
commune avec les envahisseurs, En 647, eut lieu une
deuxième invasion. C'est alors qu'apparut Mohamed,
qui répandit parmi les indigènes la religion de l'Islam.
A partir de ce moment, les invasions se succèdent
rapidement. Vandales, Byzantins, Arabes de diverses
régions s'établissent ça et là, se mêlent, s'allient, se
battent et s'exterminent sans que l'on puisse déterminer
leurs possessions et leurs conquêtes. Une domination
ferme s'impose, c'est celle des Turcs qui surgit. Ces
conquêtes successives avaient ruiné le pays et détruit à
peu près tout ce que les Romains avaient laissé de beau;
les Espagnols, voisins de l'Afrique, en avaient profité
pour s'y implanter, et Alger était depuis six ans entre
leurs mains lorsque, en 1516, les frères Baba-Aroudj,
dénommés plus souvent Barberousse, s'emparèrent de
la ville et, ne rencontrant aucune résistance sérieuse,
s'assurèrent du pays par la conquête de quelques villes
principales : Ténès, Médéa, Miliana, Tlemcen. N'étant
pas sûrs de conserver le fruit de leur hardiesse, ils
placèrent tout ce territoire entre les mains du Sultan
de Constantinople. Les gouverneurs, nommés par ce
dernier, portèrent le titre d'Agha puis de Pacha. Mais
tout en restant sous l'autorité ottomane, ces pachas
devenaient de plus en plus puissants ; si bien qu'au
xvm 6 siècle, Ali, Dey d'Alger, s'affranchit complète-
ment du joug turc et érige le pays en Régence d'Alger,
sous son autorité absolue. La régence comprenait trois
provinces : celle de Constantine, d'Oran et de Tittery,
dont la capitale fut Médéa. Le Tittery s'étendait au Sud
jusqu'à Boghar et comprenait, de l'Est à l'Ouest, le
territoire qui s'étend d'Aumale à Miliana. Un bey fut
installé dans chaque capitale, et c'est à ce moment que
Médéa fut réellement bâtie car, jusqu'à cette époque, la
ville n'avait été qu'un amas de masures élevées sur